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Comprendre la théologie apophatique pour approfondir le sens et le rôle de l’icône…
1---Le
problème de la connaissance de Dieu a été posé de façon radicale
dans un traité attribué à Denys l’Aréopagite : « De la
théologie mystique ». Denys
conçoit 2 voies théologiques possibles : 1)
cataphatique ou positive qui procède par affirmations et nous
fait accéder à une certaine connaissance de Dieu ; cette voie ,
selon lui, est imparfaite 2)
apophatique ou négative qui procède par négations et nous
conduit à l’ignorance totale. -Seule
cette voie est convenable à l’égard de Dieu , inconnaissable par
nature. En
effet, toute connaissance a pour objet ce qui est. Or Dieu est au
delà de ce qui est ou existe. La
seule approche possible est de nier tout ce qui lui est inférieur,
c’est à dire tout ce qui est. -C’est
donc par l’ignorance que l’on connaît Celui qui est au dessus de
tous les objets de connaissances possibles, Celui qui n’est rien du
tout dont il est la Cause… Par
les négations on écarte progressivement tout le connu pour
s’approcher de l’Inconnu dans les ténèbres de l’ignorance. -De même que la lumière rend les ténèbres invisibles, de même la connaissance, et surtout l’excès de connaissance supprime l’ignorance, seule voie pour atteindre Dieu en Lui-même.
2---St
Thomas d ‘Aquin et la vraie nature de l’apophatisme. -Or les 2 voies, transposées sur le plan de la dialectique, sont antinomiques, et c’est pourquoi St Thomas d’Aquin chercha à résoudre cela en tentant une synthèse ramenant les 2 voies en une seule. Il fit ainsi de la théologie négative une correction de la théologie affirmative : les
perfections finies que nous trouvons dans les êtres, si elles doivent
être niées selon le mode de notre conception limitée, doivent être
affirmées par rapport à Dieu selon un mode plus sublime, dit-il . Ainsi
les négations se rapportent à la limitation de nos moyens
d’expression, alors que les affirmations se rapportent à la
perfection que l’on veut exprimer, qui est en Dieu autrement que dans
les créatures… Mais de toute évidence cette synthèse, si ingénieuse d’un point de vue philosophique, ne correspond pas à la pensée dionysiaque. -Selon
Denys, on ne peut mettre sur un même plan les 2 voies antinomiques pour
en faire une synthèse car elles ne sont pas de même nature... Il
oppose la voie affirmative , qui est une descente des degrés supérieurs
de l’être vers ses degrés inférieurs, à la voie négative, celle
des détachements successifs, ascension vers l’ingognoscibilité… -Afin de saisir la vraie nature de l’apophatisme , il faut renoncer aux sens et à l’intelligence rationnelle , à tout ce qui est et n’est pas. Ainsi seulement peut on atteindre dans l’ignorance absolue l’Union avec Celui qui surpasse tout être et toute science. -Il
ne s’agit pas d’un procédé dialectique mais d’un chemin de
purification –une catharsis- nécessaire pour s’affranchir
graduellement de l’emprise de tout ce qui peut être connu, un chemin
de sainteté laissant derrière soi les lumières divines et les
paroles célestes… -La
théologie apophatique peut être définie essentiellement comme une
voie vers l’union mystique avec Dieu dans laquelle on
s’affranchit de ce qui voit ( le sujet) et de ce qui est vu (
l’objet). Denys compare cette voie à la montée de Moïse sur le Sinaï,
qui renonçant à tout savoir positif, pénètre dans la Ténêbre de
l’inconnaissance. Dieu
n’est pas objet de connaissance ; sa nature est inconnaissable… (le langage biblique parle de noces, d’épousailles…)
3---Plotin
et le néo-platonisme -Il
existe dans la philosophie de Plotin des similitudes frappantes avec les
aspects de la théologie mystique de Denys. Malgré toutes leurs
ressemblances extérieures dues surtout au vocabulaire commun, il y a un
abîme infranchissable entre les deux . -Selon
Plotin ni les sens ni l’intelligence ne sont aptes à nous rapprocher
de l’Un, car ils appartiennent au domaine de l’être. Or la nature
de l’Un est génératrice de tout, et n’est rien de ce qu’elle
engendre ; toutes les propriétés que l’on trouve dans l’être
(qualité/quantité;intelligence/ âme ; mouvement/repos ;
lieu/temps) le rendent multiple. Ainsi, l’âme qui veut saisir
l’Un par la science ou l’intuition, s’éloigne de l’unité et ne
saisit donc que du multiple ! -Il
s’agit alors de recourir à la voie extatique, à l’union où l’on
est un avec son objet, où le sujet ne se distingue plus de son objet.
C’est une réduction de l’être à la simplicité absolue . Ce qu’on écarte dans la voie négative de Plotin, par une purification de nature intellectuelle, c’est le multiple, corrélatif à l’être. L’union avec le Un est prise de conscience de l’unité ontologique de l’homme avec Dieu.( une forme de mystique impersonnelle)
4---L’union
mystique dionysiaque -Selon
Denys, Dieu est inconnaissable par nature ; il n’est pas
le Dieu-unité primordial des néo-platoniciens. S’il est
inconnaissable, ce n’est pas à cause de la débilité de notre
entendement lié au multiple. Si l’incognoscibilité avait pour
base la simplicité de l’Un, comme chez Plotin, Dieu ne serait pas
inconnaissable par nature ! -Or,
c’est justement l’incognoscibilité qui est la seule définition
propre de Dieu chez Denys (si l’on peut parler de définitions
propres…) -« Il
n’est pas l’Un, ni Unité » dit-il. Le nom le « plus
sublime » est celui de « Trinité », qui nous apprend
que Dieu n’est ni l’un ni le multiple ( Il n’est pas l’essence
des philosophes, à trois modes de manifestation, ou bien trois êtres
distincts ), mais surpasse cette antinomie, étant inconnaissable en ce
qu’Il est, nous est-il appris dans le « Traité des noms divins ». -C’est
la conscience de l’incognoscibilité foncière de Dieu qui marque la
limite entre le Dieu des philosophes et Celui de la Révélation. La
philosophie grecque ignore la différence entre le créé et l’incréé,
la création « ex nihilo » . -Or
il y a un abîme entre la
créature et le Créateur, et cet abîme creuse l’incognoscibilité de
Dieu. -L’extase chez Denys est une sortie de l’être comme tel , un renoncement au domaine du créé pour accéder à l’incréé, un affranchissement existentiel engageant l’être entier de celui qui veut connaître Dieu. Cela nécessite d’abord un « changement d’esprit continuel », ce que la Tradition appelle : métanoïa… ensuite, la prière qui est dialogue amoureux.
5---Théologie
et concept. -En
cela sa théologie n’est pas une opération intellectuelle ; elle
est plus qu’un jeu de l’esprit. L’union
mystique suppose une transformation dans la nature du sujet ; il reçoit
l’état déifié. L’union est déification. Et dans cette
union il ne connaît Dieu que comme incognoscible ; cette
expérience (
qui est une grâce ) est une rencontre avec le Dieu personnel de la Révélation,
la Trinité. -Aucun
concept philosophique n’est apte à rendre compte des profondeurs
insondables de Dieu. Tout
concept relatif à Dieu est un simulacre, une image fallacieuse ;
les concepts que nous formons selon notre entendement créent des idoles
de Dieu-( l’icône, qui s’oppose ici radicalement à l’idole, est
une démonstration, une manifestation de ce qui est caché et en cela,
par son caractère apophatique, elle respecte le mystère inhérent à
la Trinité). -Il
n’y a qu’un seul nom pour exprimer la nature divine : c’est l’étonnement
qui saisit l’âme quand elle pense à Dieu. -Pour
la théologie négative, Dieu réside là où nos concepts n’ont pas
d’accès. L’incognoscibilité absolue de la nature divine se fait de
plus en plus évidente dans l’ascension spirituelle. L’âme ne cesse
de désirer davantage ; l’ascension devient infinie et le désir
inassouvissable. Le
Cantique des cantiques rend compte poétiquement d’un amour qui
n’atteint son Bien aimé que dans la conscience que l’union n’aura
pas de fin, l’ascension pas de terme. -La
théologie doit être moins une recherche des connaissances positives
sur l’être divin qu’une expérience de ce qui dépasse tout
entendement. -Ainsi
l’apophatisme est une disposition d’esprit se refusant à la
formation de concepts sur Dieu ; et cela exclut toute théologie
abstraite et purement intellectuelle qui voudrait adapter à la pensée
humaine les mystères de la sagesse de Dieu. -Il n’y a pas de théologie en dehors de l’expérience : il faut changer , devenir un homme nouveau.
6---Et
la théologie cataphatique ? -Contrairement à la voie apophatique qui est celle de l’union, c’est une voie qui descend vers nous, une échelle des théophanies. -Il serait cependant plus conforme à son essence de la définir comme une seule voie suivie en deux directions opposées, car la philosophie et la dialectique ici n’ont plus cours : Dieu
descend vers nous dans ses « énergies » qui le manifestent,
nous montons vers lui dans les « unions » où Il reste
inconnaissable par nature. -Or
la théophanie suprême, l’Incarnation du Verbe, garde pour nous son
caractère apophatique : le Superessentiel ( Celui qui est au delà
de toute essence) se manifeste dans l’essence humaine, sans
cesser d’être caché dans cette manifestation. Dieu, dans ses
théophanies , se dérobe dans ce qu’Il est (nature divine)
tout en se manifestant dans ce qu’Il n’est pas par sa nature(nature
humaine). -L’échelle
de la théologie cataphatique qui nous révèle les «noms divins» tirés
des Saintes Écritures est une série de degrés servant à la
contemplation. -Ces
degrés ne sont pas des connaissances rationnelles qui nous permettent
de développer une science positive sur la nature divine, mais plutôt
des images ou idées aptes à remodeler nos facultés en vue de la
contemplation de ce qui dépasse tout entendement. -Ce
qui paraît évident au degrés le plus bas de l’échelle ( Dieu
n’est pas la pierre, Il n’est pas le feu ) l’est de moins en moins
à mesure que l’on parvient au sommet de contemplation dans l’élan
apophatique ( Dieu n’est pas l’être , Il n’est pas le bien ). Des
images ou des idées de plus en plus sublimes , il faut se garder d’en
faire des idoles de Dieu, des concepts. Ainsi, dans la mesure où
l’apophatisme reste lié à la théologie cataphatique, il lui ouvre
à chaque degrés des horizons illimités de contemplation. ( Et l’icône est précisément une image- l’écriture d’une idée- qui permet de contempler la beauté divine même, Dieu en tant qu’il devient visible dans la création. Elle est l’expression par excellence, dans le domaine artistique, de la théologie négative.)
7---pour
ne pas conclure … -L’apophatisme
n’est pas une branche de la théologie, un chapitre, une introduction
inévitable sur l’incognoscibilité de Dieu après laquelle on passe
tranquillement à l’exposé de la doctrine dans les termes habituels,
propres à la raison humaine, à la philosophie commune. -L’apophatisme
nous apprend à garder notre pensée de suivre des voies naturelles et
de former des concepts qui remplaceraient les réalités spirituelles.
Les Pères de la tradition orientale, fidèles au principe apophatique
de la théologie, ont su garder leur pensées sur le seuil du mystère
et ne pas remplacer Dieu par des idoles de Dieu. -Incognoscibilité
ne signifie pas agnosticisme ou refus de connaître Dieu. La fin propre
de la théologie négative n’est pas la connaissance mais l’union,
la déification. Ce n’est donc pas une théologie abstraite, opérant
avec des concepts, mais une théologie contemplative, élevant
l’esprit et le cœur vers des réalités qui dépassent
l’entendement. |
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