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HISTOIRE de L’ICÔNE

1-Les origines ou préhistoire de l’image chrétienne

L’art des premiers chrétiens est le résultat d’une évolution qui a débuté au contact des cultures des régions de l’ancien monde :

a-      en Palestine , le judaïsme

b-      en Grèce et dans les pays du Proche Orient , l’hellénisme et ses variantes orientales

c-      en Italie , l’esprit romain et sa conception de l’image.

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L’image dans le judaïsme

-Si l’on considère le Pentateuque , on y trouve une attitude négative envers l’image :

«  Tu n’auras pas d’autres dieux que Moi. Tu ne te feras aucune image sculptée , rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux , la-haut ou sur la terre ici-bas , ou dans les eaux au-dessous de la terre. » ( Ex 20,4 )cf aussi :Dt 4,15-18 où l’interdit porte sur la représentation idolâtrée d’un homme ou d’animaux de toutes espèces)

-Néanmoins , toutes représentations n’était pas interdites :

Cf Nb 21,4-9 ( épisode du serpent d’airain ) ; Ex 25,15 : « Tu façonneras au marteau deux chérubins d’or… » ; Ez 40,16,31 etc… ;41,18 : outre des palmiers comme ornements du temple , Ezéchiel parle de chérubins à face d’homme et de lion…

-On remarque en fait que l’interdit porte non pas sur l’image mais sur l’idole et si la défense de l’image visait à garder le peuple d’Israël de l’idolâtrie , cette défense recelait aussi un sens théologique :

En effet, par le péché, l’image de Dieu est mutilée dans l’homme…N’ayant plus de relation avec le créateur, l’image est faussée et devient idole.( Les chérubins, par contre, ne sont pas touchés par cette séparation venant du péché : ils peuvent ainsi figurer comme des protecteurs sur l’Arche d’Alliance. )

-Lorsque le judaïsme, au temps des Macchabées, se sentit menacé par l’hellénisme, il rejeta systématiquement toutes les images.

On a cependant découvert en Israël , à Beit Alpha , une synagogue du VI ème siècle décorée de mosaïques représentant l’Arche d’Alliance , les signes du zodiaque , le sacrifice d’Isaac , etc…ce qui dénote une certaine tolérance du monde juif envers les images ; tolérance que l’on retrouve surtout chez les juifs de la diaspora vivants dans un milieu culturel très marqué par l’image : cf la synagogue de Doura Europos en Mésopotamie ( III ème siècle ) ; on y trouve des représentations de l’histoire de Moïse , de Daniel et d’autres personnages de la Bible.

 

L’image chez les Grecs

-L’image gardait pour les Grecs un caractère mystérieux voire magique. Certaines représentations des dieux semblaient avoir le même pouvoir que les dieux : frapper de folie ou de cécité ceux qui osaient les regarder !

Des statues comme celles d’Athénée ou de l’Artémis d’Ephèse étaient dites « non faites de mains d’homme » ; on les vénérait par toutes sortes de rites : ablutions, onctions ; offrandes de fleurs et de repas .

-Les philosophes ( Héraclite, Xénophane, Empédocle ) s’élevaient contre les excès de ces rites, dangereux pour le caractère spirituel du divin .

Platon, quant à lui, tout en voyant le dangers, estimait que les hommes cultivés se devaient de participer au culte afin d’obtenir la faveur des dieux et faire plaisir au peuple qui a besoin de représentations sensibles du divin.

-Bien que ces aspects mystérieux et magiques soient éloignés de l’esprit chrétien, il n’en reste pas moins évident que les diverses « Renaissances » qu’a connu Byzance ont eu une influence dans l’élaboration de l’art chrétien ; chaque retour à l’art antique a marqué une civilisation transposant sur le registre chrétien les inspirations artistique païennes.

 

Le rôle de l’image dans l’empire romain

-Dès ses origines, l’Église primitive fût en contact avec la culture de Rome où l’image jouait un rôle particulier (grâce à la culture grecque qui influença l’art religieux des romains ).

-Le culte des empereurs romains trouva aussi son origine dans le culte d’adoration dont faisaient l’objet les portraits des souverains dans l’Orient hellénistique.

-En plus d’une fonction religieuse, l’image pouvait remplir une fonction juridique, dans certaines circonstances, l’image de l’empereur tenant lieu de la personne même de l’empereur, selon les règles du droit romain.

-Après la conversion au christianisme, il est facile de comprendre que cette présence efficace d’ordre juridique, jointe à la tradition religieuse du culte impérial se soit transformée pour acquérir une nouvelle sacralisation, qui portera ensuite sur les images chrétiennes :

ainsi, le philosophe devient le Christ, l’Apôtre ou le Prophète ; les scènes d’apothéose se transforment en représentations de l’Ascension ; la figure du Bon Pasteur prend son origine dans l’imagerie pastorale ; à l’empereur et à l’impératrice sur le trône correspondent le Christ ou la Vierge entre les anges ou les saints, etc…

Ainsi l’imagerie païenne sert de matrice à l’imagerie chrétienne.

 

Les premiers chrétiens et l’image

-On comprend que les premiers chrétiens se soient trouvé en opposition avec le monde païen, en raison de l’importance qu’y jouait l’image qu’ils devaient considérer comme une forme d’idolâtrie. Et la seule idée de représenter Dieu, aura pu paraître un retour au paganisme…

-L’art religieux n’avait aucune importance dans l’Église primitive ; constituée de petite communautés par le nombre des fidèles, souvent très pauvres, cette Église n’avait nul besoin de grands édifices et ne pouvaient non plus passer commandes à des artistes bien rémunérés par les païens. Ces artistes, de toute manière auraient dû rompre avec le monde païen pour être engagés ! Ils auraient ainsi perdu leurs moyens de subsistance…

-La conception de l’image païenne et sa fonction étaient trop différente de l’esprit du christianisme pour être l’expression de la foi.

2-L’art des catacombes

-Le classicisme de l’ère antonine fait place à un expressionnisme évoquant la vie intérieure de l’homme, qui a sa source dans l’art populaire et non monumental.

Ce style convient à de petites pièces dans les maisons privées ou dans les catacombes.

-Ainsi les chrétiens adopteront les symboles païens en leur donnant une signification plus profonde :

-les saisons, signe de vie par delà la mort ( pour les païens ) deviennent symbole de la résurrection

-le navire, symbole de prospérité et d’une heureuse traversée de la vie , devient l’Église

-l’entrée du navire au port n’est plus la mort mais la paix éternelle

-le jardin, le palmier, la colombe, le paon évoquent le paradis terrestre

-les symboles érotiques ( Amour et Psyché ) deviennent la soif de l’âme et l’amour de Dieu.

-Ces symboles sont le reflet de l’enseignement des vérités de la foi. Par eux les fidèles sont conduits vers une connaissance plus profonde du christianisme.

D’autres symboles sont inspirés de l’Ancien Testament ; et de nouveaux sont créés quant il en manquait, dès la fin du II ème siècle et ceux-là, typiquement chrétiens :

-la multiplication des pains ( représentation du banquet eucharistique )

-l’adoration des mages ( symbole de l’admission des païens à la foi )

-la résurrection de Lazare

et surtout les symboles secrets, incompréhensibles aux païens :

 a- la vigne ( mystère de la vie en Dieu dans les baptisés )

 b- le poisson, “ i-ch-th-u-s”, se réfère au Christ: Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur

-Les peintures des catacombes montrent une unité de style et de sujets : on retrouve les mêmes symboles en Asie Mineure, en Espagne, en Afrique du nord et en Italie, sans que l’Église ait donné une indication d’un programme officiel ; la foi restant une , grâce aux contacts entre les Églises locales…

-Jusqu’à Constantin, les peintures chrétiennes présentent les mêmes caractéristiques :

a-      quelques traits dans une gamme de couleurs restreinte

b-      quelques lumières exprimant l’essentiel

C’est une recherche consciente du monde spirituel qui se démarque de tout naturalisme.

-Cependant, et c’est un fait capital, les visages des catacombes ne sont pas des images du culte ! Elles restent dans la sphère des symboles. L’Église n’a pas encore élaboré les dimensions du mystère de l’incarnation                ( apparaissant lors des premiers conciles ).

-Or, c’est le mystère de l’incarnation qui offre un fondement à la vénération des icônes.

 

3-Lart de l’Église constantinienne

-C’est avec l’ère constantinienne, et avec l’exaltation du pouvoir du « basileus », que l’art chrétien reçoit un contenu autre : il traduit et reflète la toute puissance divine.

Adoptant les formes de l’art impérial au début du IV ème siècle, l’art chrétien renverse le mouvement à la fin de ce siècle. Constantinople, favorisé par sa position entre l’Occident et l’Orient, devient le lieu d’un art nouveau, l’art byzantin : chrétien par son essence, hellénistique par ses racines.

-Au terme d’un processus qui durera deux siècles, jusqu’à Justinien, l’image sacrée va trouver sa forme définitive.

a-  Le monde hellénistique apporte : l’harmonie, la mesure, le rythme, la grâce.

b-  Le monde oriental apporte : la vue frontale, les traits réalistes, mais sans naturalisme (jugé trop lourd)

-L’art sacré, au cours de ces siècles, est l’expression parfaite des vérité de la foi et le reflet de la prière de l’Église. Jusqu’ici l’art byzantin ne diffère pas essentiellement de l’art de l’Occident

-Un élément historique significatif permet de comprendre le caractère spécifique de l’image sacrée. Avant une bataille, Constantin vit une croix de flamme avec les mots : « Triomphe par ce signe ». Puis la nuit le Christ lui apparaît, lui ordonnant de placer, sur un étendard devant précéder l’armée dans la bataille, la même image apparue dans le ciel…

-A partir de cet événement, l’image sacrée devient « symbole efficace ».

-Au VII ème siècle, l’image du Christ « non fait de main d’homme »(archeipoitos), figure sur l’étendard .

-En 622, l’empereur Héraclius porte lui même cette image et la montre aux troupes avant la bataille contre les Perses.

-Cette image a une fonction protectrice ; elle est un gage de victoire sur tout ennemi, c’est à dire sur le mal !

-Mais pour saisir la richesse spécifique, l’essence même de l’icône, il faudra la référer à la théologie qui s’est développée lors des luttes iconoclastes.

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4-De l’image à l’icône

la crise iconoclaste …

-Il faut prendre conscience que l’acceptation de l’icône à été le résultat d’un rude combat théologique au sein de l’Église.

La fête que l’on célèbre dans la tradition orthodoxe le premier Dimanche de Carême  dite «Quadragésime» est appelé aussi « Triomphe de l’Orthodoxie » .Il ne s’agit pas, bien évidemment de célébrer d’une manière triomphale la foi orthodoxe, mais de faire mémoire de ce long processus de l’Histoire de l’Église qui finit par rendre raison théologiquement de la présence et de la sainteté des icônes dans les célébrations …

-En 691-692 les actes du concile « in trullo » font mention officielle de l’importance de l’icône. On   ne représentera plus le Christ uniquement par l’Agneau mystique, mais dans son incarnation.

-Léon III, « prêtre et empereur », s’opposera le premier aux représentations du Christ et des saints. La crise iconoclaste est très forte en 730 et le concile de 754 à Hiéra niera l’union hypostatique.

-La divinité, selon le concile, absorbe la nature humaine. Le Christ est-il vraiment Dieu et vraiment homme en une seule personne ? Le culte de l’icône repose sur une réponse affirmative à cette question.

-L’argumentation iconoclaste se fondait sur l’interdiction vétéro-testamentaire et sur la première Épître de St Jean : « Dieu, personne ne l’a jamais contemplé »(4, 12) et sur son Évangile : « Nul n’a jamais vu Dieu »(Jn 1, 18), en omettant la suite : «  Le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui l’a fait connaître »(Jn 1, 18).

-Les iconoclastes ajoutaient que :

dire que l’icône du Christ représente son humanité sans sa divinité rejoint le nestorianisme (*1), ou qu’elle figure sa divinité sans son humanité est impossible car la divinité ne saurait être représentée (arianisme)(*2), ou bien encore admettre un mélange de l’humanité et de la divinité conduit au monophysisme.

-Selon eux, le concile de Chalcédoine(451) définissant que dans le Christ les deux natures sont unies « sans confusion ni séparation » serait nié si l’on acceptait l’icône, image matérielle du Christ.

... et sa résolution

-Jean Damascène (650-730), Théodore Studite (759-826) et le patriarche Nicéphore (750-828) furent en contrepartie les meilleurs défenseurs des images ; l’argumentation se résume ainsi :

1- par son incarnation le Christ met fin à la loi mosaïque et à l’interdiction des images. L’incarnation est l’argument essentiel en faveur de l’icône.

2- le Fils est l’Image du Père comme l’affirme Jésus : « Qui m’a vu a vu le Père »(Jn 14, 9).Icône du Père invisible, il participe alors à sa nature divine (premier concile Nicée, en 325)

3- si le Christ est né d’une mère descriptible, il a naturellement une image qui correspond à celle de sa Mère ; et s’il ne pouvait être représenté par l’art, cela signifierait qu’il est né seulement du Père et ne s’est pas incarné.

4- par la Transfiguration puis par la Résurrection, le Christ transfigure la matière qui peut alors le représenter. Jean Damascène écrit :

«Je ne vénère pas la matière mais le Créateur de la matière qui s’est fait matière pour moi et qui a daigné habiter dans la matière et opérer son salut dans la matière »

5- dans l’icône du Christ, ce n’est ni sa divinité ni son humanité qui sont représentées, mais sa personne (hypostase) qui unit les deux…L’icône montre la personne du verbe éternel et non son humanité séparée de sa divinité.

6- l’image renferme une sorte de présence de l’être représenté et devient vénérable.

7- « l’honneur rendu à l’image va à son prototype »( Nicée II )

8- l’Évangile lui-même est icône verbale ; Théodore Studite : »Le Christ n’a nulle part ordonné qu’on écrive ne serait-ce la parole la plus brève. Et néanmoins son Image a été tracée par les Apôtres et conservée jusqu’à présent. Or ce qui est représenté d’un côté par l’encre et le papier est représenté sur l’icône par diverses couleurs ou autre matériel «  

-Et enfin écoutons Jean Damascène :

«  Si tu as compris que l’incorporel s’est fait homme pour toi, alors c’est évident, tu peux exécuter son image humaine. Puisque l’Invisible est devenu visible en prenant chair, tu peux exécuter l’image de celui qu’on a vu. »

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*1-Doctrine de Nestorius, déclarée hérétique par le concile d'Éphèse en 431.
Au lieu d'attribuer à l'unique personne de Jésus-Christ les deux natures divine et humaine, Nestorius enseignait qu'en Jésus-Christ coexistaient deux personnes, l'une divine, l'autre humaine, dont l'union n'était que morale.
L'hérésie opposée est le monophysisme (= les natures divine et humaine se fusionnent en Jésus-Christ pour ne laisser place qu'à la nature divine

*2- L'arianisme est une hérésie qui consiste à nier la consubstantialité du Fils avec le Père et, de ce fait, la divinité du Christ. Elle a, pour origine, Arius d'Alexandrie (256 à 336) qui déclencha, en quelques années une des crises les plus graves de l'Église chrétienne dont le Dieu était rabattu au rang des dieux romains permettant ainsi à l'empereur de dicter ses lois et ses coutumes. L'arianisme fut condamnée par les évêques et cardinaux réunis au concile de Nicée (325) et une autre fois par ceux qui participèrent au concile de Constantinople en 381.

 

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